Lionel

  Je vole.
  J'aime cette sensation.
  J'aime le vent qui court le long de mon corps à moitié dénudé. J'aime le sentir s'engouffrer dans mes cheveux pour complètement les décoiffer. J'aime  prendre de l'altitude jusqu'à ce qu'il n'y ait plus suffisamment d'air respirable et retomber en piqué vers le sol. J'aime quand le soleil passe entre deux nuages et que je me place dans son éclat.
  J'aime voler.
  Je ne le dirais jamais assez, je pense. Cette sensation est la meilleure qui soit au monde : je suis fait pour voler.
  Mais je dois m'arrêter. J'ai rendez-vous avec le Roi dans une heure et je dois me préparé pour ça. Je redescends, doucement, atterrit tout aussi doucement et avec une lenteur voulue. Je ne veux pas m'arrêter de voler. Mais l'ai profité jusqu'au bout de cette sensation. Au vu du message que j'ai reçu, je vais surement ne plus pouvoir voler pendant plusieurs mois. Peut-être plus. Ca m'angoisse, je l'avoue.
  Arrivé devant le château, je présente à l'un des gardes ma convocation. Sans un mot, il me m'invite à le suivre et me conduit dans un dédale de couloirs lumineux. Ce n'est pas la première fois que je viens. Mais le château à toujours cet attrait magique et fantastique. Comme s'il était tiré d'un conte de fée. Cette idée me tire un sourire. Le garde s'arrête devant une porte, frappe deux coups et s'incline légèrement devant moi pour me faire comprendre que je peux entrer. Je lui rends son salut avant d'entrer. Je me présente au Roi, assis sur son trône et entouré de deux gardes encore plus armés que le précédent.
« Bonjour, Lionel Arc'hantael. Je vous ai convoqué aujourd'hui pour vous parler d'une mission très importante dans le monde des Humains. »
  Je m'en doutais…
« Il vous faudra surveiller la Mashia'h jusqu'à ses dix-huit ans.
-Vos désirs sont des ordres, Majesté. »
  Une dernière courbette et je sors de la salle. L'entrevue aura duré moins de cinq minutes. Le Roi n'est pas entré dans les détails, ça ne servait à rien. Tout le monde sait qui est la Mashia'h. Tout le monde la connait. Je suis simplement rentré chez moi et j'ai fait mon sac. Je n'ai pas pris grand-chose dedans. Le strict nécessaire.
  J'ai franchit la porte de la maison où je vis. Ce n'est pas chez moi. Je n'ai plus de chez moi. Je dois quitter cette maison pour aller vivre dans une autre, voilà tout. Je tourne mon visage vers le soleil et ferme les yeux, profitant de sa chaleur. Je sais que je vais avoir mal dans peu de temps, autant profiter un peu du plaisir qu'il me reste.
  J'avance vers la sortie de la ville. Là, seulement avant de franchir le petit pont qui nous coupe du reste du monde, je pose mon sac et m'assoie dans l'herbe. Je me prépare mentalement à la douleur qui va arriver. Je me concentre le plus possible, pour que ce soit rapide. Je replie mes appendices de plumes, pour qu'elles entrent plus vite en moi. Et d'un coup, je le décide.
  Je décide de cacher au reste du monde ma vraie nature. Une douleur immense me vrille le dos, les omoplates. Une gêne tout aussi terrible se fait sentir quand, arrivé à la moitié du travail, il n'y a déjà plus assez d'espace pour tout faire rentrer. Je continue tout de même. La douleur est de plus en plus vive. Je sens le sang couler le long de mon dos dénudé. Je sens ma peau qui veut se refermer malgré que je le lui interdise. Malgré moi, un cri, proche du rugissement enroué d'un animal féroce sort du tréfonds de ma gorge. Quand enfin tout est terminé, je mets quelques secondes à reprendre mes esprits.
  Enfin je reprends la route, tout doucement.
  Le sang est déjà sec sur ma peau. Des plaies, il ne reste que deux grandes cicatrices sur mes omoplates. De ma douleur, qu'un souvenir et cette gêne, qui me poursuivra tant que je ne pourrais pas déployer à nouveau mes ailes.